"Bloquez-moi ce Qatar que je ne saurais voir"
5 juin 2017. Le Qatar se réveille sonné par un séisme politique ; ses voisins viennent de le mettre au banc, fermant leurs frontières et coupant toutes relations les liant à lui. « Il finance le terrorisme » crient-ils en chœur.

La crise a exacerbé le sentiment patriotique.
Les prémices de cette situation étaient déjà présentes depuis 15 jours. Une tension palpable dans les médias de l’Arabie saoudite et des Emirats arabes unis, principalement Sky News et Al Arabyia, se faisait sentir ; elle allait durer dans le temps et changer beaucoup de donnes dans la région du Golfe.
Cette tension entre Doha et ses chers voisins ne date pas d’hier. Elle est juste montée en intensité, volatilisant au passage le Conseil de coopération des pays du Golfe, le CCG, et c’est là le principal dommage politique de cette crise. Le CCG était jusqu’ici une organisation qui fonctionnait assez bien. A l’inverse de la ligue arabe, il était plus facile pour le CCG de symboliser l’unité entre les peuples ou plutôt les familles de la région du Golfe. Ceux qui connaissent cette région du monde savent que ces pays sont les prolongements sociaux, et parfois géographiques, les uns des autres. Les membres de la même famille sont d’un côté comme de l’autre des frontières entre Arabie saoudite Qatar, Bahreïn et Emirats arabes unis. Le seul pays qui sort de ce lot et qui d’ailleurs semblait mal à l’aise au sein du CCG même avant cette crise et faussait parfois la donne est le Sultanat d’Oman. Un pays socialement différent des 5 autres. On ne lui voit d’ailleurs pas un grand rôle dans les tentatives de médiation contrairement, au Koweït dont l’émir Cheikh Sobah Al-Ahmed Al-Jabir Al Sobah semble jouer aux avocats de famille entre, principalement, Ryad et Doha.
Aux origines du mal
L’Arabie saoudite semble depuis plus d’une dizaine d’année excédée par ce « minuscule » voisin qui commence à jouer dans la cours des grands en lui volant parfois la vedette. Voler de ses propres ailes n’est pas trop recommandé quand on est de petite taille et quand de surcroit on a pour voisin un géant qui risque de nous engloutir en un rien de temps. L’Arabie saoudite a lancé de nombreux appels à ce “petit “ Qatar pour qu’il revienne à la raison et qu’il rentre dans les rangs, mais le petit, devenu adolescent entre temps, est un peu tête en l’air. Il récidive toujours, il lui faudra donc une sévère punition décidée cette fois par toute la famille réunie sous l’égide du père saoudien. L’enfant rebelle doit comprendre une fois pour toute qu’on ne s’éloigne pas de sa famille et qu’on ne parle pas aux étrangers, notamment à ce “vilain” Iran ; il est dangereux et nous veut du mal. L’enfant doit aussi couper court avec toutes ses fréquentations, cette bande de copains qu’il reçoit chez lui, ces mauvais amis qui ont fugué parce que, pour certains, maltraités par leurs propres parents. S’il n’obéit pas aux ordres de sa famille, l’enfant devra assumer la punition infligée. Il n’a plus le droit de sortir de sa chambre. Mais l’adolescent est rebelle. Il n’a pas envie de vivre à huis clos dans ce cercle familial qu’il trouve un peu étouffant. Il a grandi, a découvert le monde et veut voler de ses propres ailes. Il ne veut pas non plus que ces copains soient renvoyés chez eux. Ils seront en danger de mort, leurs parents sont si sévères qu’il ne faut peut-être pas en prendre le risque… De plus, qu’est-ce qu’est-ce qu’on reproche à ses copains ? Ils sont amusants et lui racontent souvent plein d’histoires drôles sur leurs parents…
L’adolescent a d’autres points de vue donc et il veut que sa famille biologique les respecte. Il veut rester fidèle à ses copains et ne veut pas être traité comme un enfant et surtout, surtout, qu’on ne lui choisisse pas ses fréquentations. Il sait se faire ses propres opinions sur les gens, il a un avis et demande à sa famille de le respecter. Si pour cela, il doit rester enfermé comme décidé collectivement, qu’à cela ne tienne. D’ailleurs s’ils bloquent la porte de sa chambre qui donne directement sur celle du chef de famille très remonté contre lui, il lui restera des fenêtres pour ne pas se couper du monde et il compte bien les utiliser. Il sortira par ses fenêtres s’il le faut pour appeler le monde à son secours.
La sentence est tombée et la famille a décidé de punir ce « vilain petit Qatar » responsable de tous ses maux.
Ne voulant pas lui causer plus de tort et pour pas attiser plus de tensions, certains de ses amis ont préféré s’en aller vers d’autres cieux. Des voisins ont volé à son secours en l’approvisionnant au travers les seuls fenêtres qui le relient au monde extérieur, et d’autres ont essayé d’intervenir pour régler ce différend familial, le cousin koweitien à leur tête, arguant du fait qu’il est inconcevable de briser des liens avec sa famille durant le mois sacré du ramadan.
Certains sont même tenter de dire que la famille ne pouvait qu’avoir été remontée par une mauvaise influence, des étrangers, pour être aussi sévère avec un des siens. L’étranger en question est l’oncle Sam ; c’est donc lui qui aurait semé la zizanie. Il est venu il n’y a pas si longtemps rendre visite à cette riche famille pour demander une aide financière, ses comptes semblent au rouge. L’Arabe saoudite avait alors répondu présent et pour le dépanner elle a sorti un chèque de plus de 400 milliards de dollars, une grosse somme, mais insuffisante pour l’Oncle Sam. Ce dernier va donc tenter d’obtenir davantage auprès des autres membres de la famille. L’enfant rebelle, qui lui devait déjà beaucoup d’argent, aurait refusé de donner plus. Cela aurait provoqué une terrible colère de l’Oncle Sam qui aurait juré de le punir en l’isolant au sein de sa propre famille.
L’oncle Sam, le pyromane ?
L’implication de l’Oncle Sam, qui serait peut-être l’architecte de cette crise, est apparue au grand jour lorsqu’il a pris fait et cause pour une partie contre l’autre, mais non sans avoir auparavant tenté d’en tirer profit. Il a téléphoné à l’Emir du Qatar l’invitant à se rendre à la maison blanche pour l’aider à régler son problème de famille. Une invitation déclinée par le Qatar puisque il semblerait qu’il y avait une contrepartie de cette offre et elle serait exagérée.
L’Oncle Sam est donc passé à une vitesse supérieure : il s’est rangé publiquement aux cotés de l’Arabie saoudite et consorts, révélant que c’est lui qui, au cours de la dernière visite dans le Golfe, a demandé aux dirigeants de cette famille d’exclure de leurs rangs le Qatar puisqu’il a de très mauvaises fréquentations avec lesquelles il gaspille son argent, au lieu de le lui confier pour qu’il le fructifie.
La famille du Golfe est donc remontée contre le petit Qatar qui ne veut pas grandir. Celui-ci flirte même avec certains ennemis des membres de sa propre famille, mettant en danger tout le monde. Il faut le punir et tous ensemble on va tout dévoiler sur ses mauvaises fréquentations, des listes de “terroristes ou d’organisations terroristes” sont établies au pied levé et sous le coup de la colère.
Le Qatar qui lui n’a pas voulu révéler tous les secrets de famille, explique à tous que ce qu’on lui reproche, il l’a appris au sein de sa famille et que ses fréquentations tant décriées sont aussi celles d’autres membres de cette même famille, et il ne s’explique donc pas pourquoi il est mis au banc et pas les autres. Pourquoi serait-il l’enfant terrible ?
Le conseil de famille, le CCG en l’occurrence, ne s’est pas réuni pour régler ce problème que tous s’accordent à qualifier de familial. Il est sous l’emprise des plus grands et donc il n’y aura pas de procès équitable pour ce « petit » Qatar qui ne fera plus confiance à cette instance pourtant efficace autrefois.
Les autres pays aussi d’ailleurs. Ils le savent maintenant : ce qui est arrivé au Qatar pourra leur arriver un jour ou l’autre. Plus de conseil de famille donc, et que chacun manœuvre seul. La confiance s’est effritée et chacun doit désormais vivre sur ses gardes.
Les amis de la richissime famille moyen-orientale, ceux qui assistaient traditionnellement à toutes les fêtes, ne se sont pas beaucoup manifestés. Ils se sont scindés en deux clans : les pro-saoudiens et consorts, contacté très tôt pour couper court avec le Qatar, on compte parmi eux des cousins très lointains et des connaissances qui ne devait, en temps normal, pas se mêler de cette affaire, et les moins dépendants ou les désintéressés par les deux camps ; ceux-là se sont positionnés au milieu pour perdre le moins possible en cas de victoire de l’un ou de l’autre des deux parties, le wait and see étant la position la mieux recommandée.
Le voisin turc essaye quant à lui de faire le tampon, pour éviter que le pire ne se produise. To be continued
Souhila Abada

Publié également par :
Le blog de la Tribune de Genève
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nabil benali (vendredi, 23 juin 2017 06:37)
Une approche originale qui simplifie à merveille un situation géopolitique ultra-complexe.
Gilles A. (mardi, 27 juin 2017 16:21)
J'ai lu avec plaisir cet article, un peu long, mais cela m'a ouvert une piste que je ne soupçonnais que peu, s'agissant du passif entre le Qatar et ses voisins du CCG. Permettez-moi d'ajouter que l'aspect "gaz" sur fond de déprime du marché pétrolier y joue un très grand rôle aussi.